CONNECTED n°20

Un inspecteur très attachant

Bike small magnetic robot

Le petit robot magnétique Bike explore les immenses installations gazières et pétrolières. Son unicité : une étonnante combinaison d’agilité et de localisation 3D. Une solution « Made in Switzerland» proposée par l’entreprise amé- ricaine Baker Hughes.

Nuit totale. Juste quelques échos métalliques lointains. Nous sommes dans une conduite d’une centrale de gaz, labyrinthe de tuyaux se croisant en tous sens. Soudain, de la lumière apparait par une ouverture circulaire. Puis sa source: un robot d’une vingtaine de centimètres cubes qui descend d’une cheminée. Il manœuvre pour s’engager, la tête en bas, dans notre conduite horizontale et chemine, observant les lieux.

Ce robot solitaire au look sympa ne s’appelle pas Wall-E, mais Bike. Il est une solution bien réelle proposée par Waygate Technologies, une entreprise leader dans le domaine de l’inspection industrielle et des contrôles non destructifs et filiale du géant américain des équipements énergétiques Baker Hughes.

Bike a été conçu pour les inspections difficiles, voire impossibles à réaliser par des humains. Que cela soit pour des raisons d’accessibilité (diamètre réduit, verticalité…) ou d’efficacité. Quand une intervention humaine passe par le vidage et le nettoyage des lieux, la construction d’échafaudages ou la mise en alerte d’une équipe de secours, Bike permet en effet de belles économies de temps et d’argent. Il suffit de le porter (10 ou 15 kg selon la configuration) pour le poser à l’entrée de la conduite, de saisir la télécommande et l’inspection commence. Bike prend des mesures de contact (impossibles pour des drones), son utilisation est plus légère que celle d’un robot d’inspection de type « serpent» (un long bras articulé demandant un imposant contrepoids).

Cette simplicité a convaincu: Waygate Technologies a vendu une centaine de Bike depuis la première commercialisation il y a quelques années. Ses clients? Des entreprises des secteurs de l’énergie et de la chimie qui veulent l’intégrer dans leurs process; des entreprises d’inspections ; des exploitants de sites. Bike rampe dans des installations de centrales électriques, hydroélectriques, gazières ou pétrolières un peu partout dans le monde. Il scrute turbines à gaz, tuyaux, réservoirs sous pression, échangeurs de chaleur et même des coques de navires.

L’impressionnante agilité du robot vient de son système de locomotion, cœur du concept initié en 2009. L’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich) et plusieurs partenaires s’étaient alors associés pour concevoir un robot d’inspection magnétique capable de prendre des virages intérieurs et extérieurs à angle droit. Un beau défi technologique: comment changer de plan quand des super-aimants « collent» la machine à la paroi ?
 

 

Grâce à son système de locomotion très articulé, Bike est capable de franchir des angles concaves et convexes.

Une première itération comportait juste deux roues, placée l’une derrière  l’autre  (le  nom  Bike,  « vélo»,  rappelle  ce  choix  initial).  Le design, extrêmement compact, permettait au robot de se glisser dans des tubes au diamètre très réduit. Bien pour inspecter des conduites étroites. Mais trop instable et trop faible pour porter la charge utile nécessaire à de nombreuses missions. Alors on est passé à quatre roues et à une plateforme moins menue, mais qui progresse sans problème dans des tuyaux de 30 cm de diamètre (40 cm s’il doit y manœuvrer).

Franchir des angles concaves et convexes implique un système de locomotion très articulé. Il l’est. Les deux trains sont indépendants, chacun peut tourner de 90 degrés à droite ou à gauche, basculer sur 30 degrés (nécessaire pour évoluer en souplesse sur la surface courbe des conduites). Et chaque roue a son propre moteur ultraprécis, pour un contrôle séparé de la vitesse et une bonne répartition des forces de direction.

Le développement a duré plusieurs années et débouché sur plu- sieurs brevets. Bike est abouti vers 2016, il est testé par de premiers clients avant d’être lancé sur le marché en 2018. Comme le parcours du robot, le projet est sinueux. Au gré des rapprochements d’entre- prises et fusions d’activités, le lead est passé à Baker Hughes, qui a regroupé ses activités d’inspection industrielle en 2020 en une nouvelle entité, Waygate Technologies. Développement et production, eux, sont restés « Made in Switzerland ».

La plateforme robotisée est une chose. Reste à l’équiper pour les missions d’inspection.

Bike est bardé de caméras. Celles de navigation, à l’avant et à l’arrière, dotées d’objectifs grand-angles et d’éclairages, permettent à l’opérateur de guider le robot. Et la caméra d’inspection qui, grâce à son support articulé, peut filmer dans toutes directions, lorgner dans une conduite ou capturer des images des surfaces en mode macro. Le robot comprend aussi un support pour endoscope, un long tube à faible friction (10 m, 30 m parfois) que l’on fait glisser dans les ouvertures les plus ténues pour filmer avec une microcaméra des points difficiles d’accès (joints et soudures, coudes, buses…).

 

Travailler la « tête » en bas ? Pas un problème pour ce robot !

 

 

Les ingénieurs ont également développé un transducteur à ultra- sons. Placé entre les roues avant de Bike, il mesure, vérifie l’épaisseur des parois d’une conduite ou d’une chambre. Et détecte ainsi une éventuelle corrosion. Les ultrasons passant mal dans l’air, le contact entre le capteur et la paroi est assuré par de l’eau issue d’une petite pompe externe.

Les données collectées sont précieuses en elles-mêmes, mais elles le sont encore plus quand elles sont géolocalisées avec une grande précision. Un autre défi technique, puisque l’environnement de Bike rend impossible l’utilisation de GPS. Waygate a dû concevoir un système de localisation unique en son genre, impliquant un lidar, qui retrace en direct le cheminement du robot dans un environnement 3D. L’opérateur sait toujours où il est. Et chaque image saisie, chaque mesure d’épaisseur est exactement située. Cela permet une intervention ultérieure. Cela permet surtout de répéter le même examen au même endroit, donc de mesurer l’évolution d’une situation.

Caméras, transducteur à ultrasons et système de navigation sont devenus l’équipement standard de Bike. De nombreux clients s’en satisfont pour mener leurs inspections. D’autres achètent la plate- forme nue pour greffer eux-mêmes leurs éléments. D’autres encore choisissent des modules optionnels proposés par Waygate.

Parmi ces derniers, il y des supports pour des caméras et endoscopes supplémentaires. Des roues caoutchoutées pour ne pas rayer des parois délicates (peintures, revêtements). Des roues magné- tiques supplémentaires pour emporter une charge utile plus importante. Des câbles ombilicaux plus longs pour une inspection plus profonde — l’utilisation de fibres optiques, pour des applications très spéciales uniquement, permet au robot de s’aventurer jusqu’à 200 m de l’unité de contrôle.

S’il faut encore plus de customisation (un bras préhensile, d’autres capteurs…), l’entreprise développe des solutions sur mesure et four- nit une assistance en ingénierie à ses clients.

Bike utilise de nombreuses solutions LEMO pour transporter puissance et signaux. Différentes versions de la robuste Série K, conçue pour les applications en extérieurs, connectent par exemple le cor- don ombilical, la commande, plusieurs modules extérieurs dont la sonde à ultrason, le lidar. Elles ont été choisies pour leur fiabilité réputée et leur simplicité d’utilisation.

Certaines des fonctionnalités développées sont bien trop spécifiques pour entrer dans la configuration standard de Bike (Waygate a par exemple créé une version capable de descendre 10 m sous l’eau). Mais l’entreprise s’applique à y intégrer les plus utiles à ses clients. Son robot ne cesse ainsi d’évoluer, d’augmenter ses capacités

Waygate Technologies serait même en train de travailler sur une fonctionnalité révolutionnaire, qui portera Bike au niveau supérieur. Laquelle ? Bike vient de tourner à angle droit dans une conduite latérale, et l’obscurité revient. Nous n’en apprendrons pas plus aujourd’hui.