CONNECTED n°20
L'HYDROGENE ROULE AU PRESENT

L'hydrogène est incontournable

PR Jan Van Herle Connected20

Une interview avec le Professeur Jan Van Herle

Les voitures électriques cartonnent, elles n’émettent pas de CO2, alors pourquoi explorer aussi une solution concurrente? Question naïve posée à Jan Van Herle, expert en électrolyse et en piles à combustible, chercheur et professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse).

Professeur Van Herle, les véhicules électriques ne suffisent-ils pas à une mobilité propre ?

Jan Van Herle : Les batteries électriques actuelles ne sont pas une solution parfaite, non. Leurs cycles continuels de charge et décharge, par exemple, ont un impact négatif sur leur durée de vie. Leur recharge est par ailleurs trop longue, ce qui n’est pas pratique pour l’utilisateur. Leur poids grandit proportionnellement avec l’autonomie désirée, et on se heurte rapidement à une limite : il n’est pas efficace d’embarquer une batterie de plusieurs centaines de kilos dans une voiture, dont une partie n’est jamais utilisée. On peut aussi ajouter que le lithium, ressource limitée, va finir par manquer. L’utilisation de l’hydrogène réduit plusieurs de ces problèmes.

Comment cela ?

En faisant précisément ce que l’on fait sur les véhicules à hydrogène : on remplace une partie de la lourde batterie électrique — qui stocke l’électricité — par une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène
— qui produisent de l’électricité. La pile est la source d’énergie principale, la batterie fournit la puissance — les accélérations, la dynamique de conduite. La combinaison des deux est une solution plus légère, qui offre une autonomie deux à trois fois plus grande selon le cas. Elle augmente aussi la durée de vie de la batterie, puisque la pile à combustible garde celle-ci dans un état de charge raisonnable — évitant la décharge trop profonde. C’est du gagnant-gagnant.

Qu’elle est la proportion pile/batterie ?

Les constructeurs jouent avec cette proportion selon leurs intentions. Typiquement, c’est un peu moitié-moitié. Une Hyundai Nexo est presque un véhicule purement hydrogène: elle a une batte- rie, mais ce sont les 5 kg d’H2 qu’elle embarque qui l’emmène sur 500 km.

La solution est encore jeune, ses performances sont-elles suffisantes ?

Ces dernières années, la recherche et le fort investissement de l’industrie automobile ont permis de beaucoup améliorer leurs performances. On peut constater ce progrès par exemple avec leur densité de puissance — les kilowatts produits par rapport au volume de la pile. Au début, on était peut-être à 0,5 kW/l. Puis on a passé le cap du 1 kW/l. Aujourd’hui, en grande production, la Mirai 2 de Toyota est à 5 kW/l. Des entreprises ont conçu des piles offrant du 8 kW/l. Les piles sont donc devenues très compactes et leurs performances plutôt impressionnantes.

Quid de leur coût? Une voiture à hydrogène est bien plus chère qu’une voiture électrique…

C’est peut-être le principal frein à leur adoption par le public. Certains matériaux utilisés dans les piles à combustible sont coûteux. Le platine (utilisé comme catalyseur dans une PEM) est cher, mais on arrive à en utiliser de moins en moins. Le polymère utilisé de la membrane n’est pas bon marché non plus. Les plaques bipolaires (qui per- mettent l’empilement) sont en graphite, en acier revêtu ou en titane. Ce dernier coûte cher, et il faut en plus le protéger spécifiquement contre la corrosion en milieu acide. Mais tous ces coûts dépendent beaucoup des volumes de production. Les moteurs thermiques, constitués de milliers d’éléments, sont eux aussi coûteux, mais on arrive à 50 euros le kW parce qu’on les fabrique à la chaîne à 70 mil- lions d’exemplaires par an. Suivons une montée similaire en échelle avec les PEM, et leur coût chutera.

La progression des véhicules à hydrogène est forte. Mais quand on compare leurs chiffres avec ceux des véhicules en général, ils sont anecdotiques: 60 000 en circulation, 1000 stations de remplissage prévues en Europe pour 2030…

C’est clair que nous en sommes encore au tout début. Les fabricants s’engagent avec prudence, évaluent la demande, avancent étape par étape. Et il faut développer les infrastructures…

… d’autant qu’on ne peut pas charger sa voiture « à la maison » comme une voiture électrique…

En théorie, on le pourrait. Nicolas Hayek, ancien patron du Groupe Swatch (et initiateur de la micro-voiture Smart) imaginait que les maisons pourraient avoir un électrolyseur alimenté par des panneaux solaires. C’est techniquement possible, mais trop coûteux et compliqué du point de vue de la sécurité.

Il faut donc multiplier les stations de remplissage…

… ce qui coûte cher aussi. Mais, là encore, le coût unitaire diminuera plus on en fera. Notez que le nombre de stations n’est pas forcé- ment un facteur limitant: il n’y a pas besoin d’en avoir beaucoup pour garantir la couverture qui lancera l’essor des véhicules à hydrogène. Et, si cela « prend», l’évolution peut progresser rapidement.

Plus en amont se pose le problème de l’origine de l’hydrogène utilisé. Actuellement, 95% de sa production est issue des énergies fossiles, ce qui ruine l’idée même de « véhicules propres »…

Pour la mobilité, il faut absolument utiliser de l’hydrogène vert sinon, en effet, cela ne fait aucun sens. La proportion que vous citez s’ex- plique par l’utilisation actuellement dominante de l’hydrogène : l’industrie lourde. Celle-ci s’en sert pour produire l’ammoniaque (com- posant essentiel des fertilisants), pour produire le méthanol, pour retirer le souffre du pétrole et pour créer des produits pétroliers à valeur ajoutée. Ce sont des utilisations à large échelle, et l’hydrogène y est d’origine fossile parce qu’elle est la moins onéreuse. En le tirant du gaz naturel, du charbon ou, dans le cas de l’industrie pétrolière, du pétrole lui-même, il coûte 1-2 euros le kilo.

Alors, comment produire de l’hydrogène vert ?

Par électrolyse de l’eau en utilisant une électricité provenant d’énergies renouvelables — photovoltaïque, éolienne, hydraulique…

Est-ce envisageable à large échelle ?

Le monde, l’Europe en particulier, engage des moyens énormes dans la transition énergétique, dont le solaire et l’éolien sont des piliers. L’hydrogène est intégré dans ces efforts, car il est une solution au problème du stockage de l’énergie d’origine renouvelable.

Par exemple ?

On ne peut « stocker» dans le réseau l’électricité produite « en trop » par une éolienne de 2 MW. Mais on peut mettre un électrolyseur au pied de cette éolienne, qui va utiliser cette électricité pour produire de l’hydrogène qui — lui — peut être stocké et utilisé plus tard. Il reste encore à améliorer les diverses solutions au stockage et au trans- port de l’H2, qui pèsent lourdement dans le bilan énergétique global de cette solution. Mais scientifiques et politiques poussent pour de grosses puissances d’électrolyse. On envisage des gigafactories d’électrolyseurs pour capter les énergies vertes et les transformer en hydrogène…

… que les véhicules pourront utiliser.

Exactement. Le développement des (gros) véhicules à hydrogène s’inscrit dans la transition énergétique. Il bénéficie de ses progrès, il est porté par elle.

Que faut-il pour booster encore ce développement? Des innovations technologiques, de la politique ?

Les deux. Une telle transition ne peut naître sans grosse volonté politique. Technologiquement, rien n’est jamais achevé: le moteur à combustion existe depuis 150 ans, et on injecte encore des milliards chaque année pour l’améliorer… Pour les piles à combustible, on doit notamment trouver comment diminuer l’utilisation du platine. Parce qu’il est cher, limité, que son extraction est polluante et que sa provenance est fragile (90% en Afrique du Sud, la Russie arrive seconde…).
 

En conclusion, quelle est votre vision de l’avenir des véhicules à hydrogène? Vont-ils s’imposer ?

S’imposer, non. Il y aura coexistence entre différentes solutions complémentaires. Les batteries électriques semblent être ce qu’il y a de mieux pour les véhicules légers — vélos, motos, voitures… Les piles à combustible pour les véhicules plus lourds — utilitaires, camions, bateaux, trains… Pour le très lourd et pour couvrir de grosses dis- tances (traverser un océan…), les piles posent un problème de stockage, cela passera donc par des combustibles liquides parce que leur densité énergétique est meilleure. L’ammoniaque et le méthanol sont envisagés, et on a besoin d’hydrogène pour les produire! La
mobilité verte aura besoin de toutes ces technologies.