CONNECTED n°20

L'hydrogène roule au présent

Fueling the future of mobility for Connected 20 magazine

L’élément le plus simple de l’univers peut-il vraiment résoudre le défi le plus complexe de notre planète ? 

Tout incolore et inodore qu’il est, l’hydrogène n’a en tous cas jamais autant attiré l’attention. Dans leur quête du « zero emission », les gouvernements lui consacrent des milliards. Nous, nous consacrons ce dossier à l’une de ses applications prometteuses : la mobilité.

 

Rues sales, trafic dangereux, air puant, bruit épuisant, infections galopantes: les transports suscitent un problème de pollution urbaine grandissante en ce début de… 20e siècle ! Il y a 120 ans, en effet, New York, Londres ou Paris ploient sous les nuisances des centaines de milliers de chevaux qui y travaillent. La circulation est dense, le vacarme des roues métalliques insupportable, poussière et excréments causent un grandissant problème de santé publique. Ces « chariots sans chevaux» qui commencent à apparaître? Une révolution, une solution miracle !

 

Un temps durant, moteurs à vapeur, électriques et à explosion rivalisent. Ces derniers s’imposeront, se multiplieront de manière exponentielle… et nous payons maintenant les conséquences de leurs nuisances plus insidieuses et dangereuses que celles du crottin de cheval: menaces sur la santé, doublées d’une menace sur l’Humanité. Les véhicules électriques reviennent sur le devant de la scène.

Aujourd’hui, pourtant, on ne croit plus en la solution miracle. Les véhicules électriques ne crachent pas de CO2, mais leur conception est problématique et leur bilan carbone n’est pas neutre. Y a-t-il des solutions différentes, meilleures? Arrive l’hydrogène, étiqueté « énergie du futur » depuis plusieurs décennies.

Les véhicules à hydrogène connaissent une croissance forte ces dernières années. Selon les sources, on parle même de 80 à 100% d’augmentation des véhicules H2 depuis 2020. En avez-vous vu dans les rues ? Normal: les chiffres relatifs esquissent la réalité d’une solution encore balbutiante.

Il n’y aurait effet qu’environ 60000 véhicules à hydrogène en circulation dans le monde. Une paille en regard des 67 millions de voitures (dont 10 millions électriques) vendues en 2022. Neuf sur dix roulent dans seulement quatre pays (Corée du Sud, USA, Chine et

Japon). Et le marché des voitures de série se résume à seulement deux modèles: le Hyundai Nexo et le Toyota Mirai cumulent 98% des ventes (Honda a abandonné la version H2 de son Clarity en 2021).

Les véhicules à hydrogène ne manquent pourtant pas d’atouts. D’abord face aux traditionnels: leur pile à combustible ne recrache qu’un peu d’eau dans l’atmosphère (voir ci-contre), tout bon pour la lutte contre le changement climatique (et la santé de nos poumons). Les véhicules H2 ont même de sérieux atouts face aux élec- triques : leurs réservoirs se rechargent bien plus vite que des batteries (quelques minutes) et leur autonomie est deux fois supérieure.

Les freins à la demande? Les réticences habituelles envers une aussi grande nouveauté. Le manque d’infrastructure (quelques centaines de stations de recharge dans le monde !). Le coût d’achat élevé (environ 60000 dollars, le double de certains véhicules électriques), poussé par celui de leur production. L’hydrogène progresse mieux dans les véhicules professionnels lourds (utilitaires, camions, bus…), où le manque d’autonomie et la longue charge des batteries électriques sont rédhibitoires.

Contrasté pour l’utilisateur, le bilan l’est aussi en amont. Comme nous l’explique notre interviewé (voir page 10), la production actuelle de l’hydrogène — largement fossile — pose problème. Et la production d’un hydrogène vert (par électrolyseurs) est encore loin d’être généralisable [scalable]. Une dizaine de projets de production « éolien vers hydrogène» existent par exemple en Europe (le H2Mare de Siemens Energy, le SEM-REV de Lhyfe…), mais restent encore des « proof of concept ».

Cela pourrait rapidement changer. Les États qui se sont fixé des objectifs ambitieux de réduction du CO2 ne peuvent avancer sans l’hydrogène. Celui-ci permet de stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables. De remplacer une partie de notre chauffage, énorme source de pollution. Et il peut alimenter une partie de nos transports, qui engloutissent actuellement 20% de l’énergie produite dans le monde. Son bénéfice pour l’environnement est donc potentiellement immense. Des milliards de dollars sont investis, dopant le marché. De la production d’hydrogène aux piles à combustible, en passant par des stockages plus sûrs, compacts et respectueux de l’environnement, tout est étudié, repensé, optimisé.

En mobilité, on évalue par exemple la demande énergétique d’un réseau de transport aérien H2 long-courrier (étude présentée cet été par le MIT). On teste les moteurs H2 sur des bateaux (notamment dans les écoles d’engineering, voir page 13). Sur les véhicules terrestres lourds (tracteurs en Chine, camions chez Daimler et Volvo notamment). Les voitures ne sont pas en reste, de grandes marques devraient bientôt rejoindre Hyundai et Toyota. Honda a annoncé son retour sur le marché avec une version H2 de son très populaire CR-V pour 2024 ; BMW teste une petite série iX5 à hydrogène et envisage une commercialisation entre 2025 et 2030 ; le Groupe VW a rassemblé une équipe dédiée chez Audi; Kia prévoit des piles à combustible ces prochaines années…

Les experts tablent ainsi sur une croissance à deux chiffres continue pour les véhicules à hydrogène. Le marché des voitures pourrait bondir à 29 milliards, estiment-ils. Il n’était que de 1 milliard en 2020.

Donc oui, nous finirons par voir des voitures H2 dans nos rues. Elles seront conçues et vendues comme des objets de désir, forcément. Nous devrions cependant les admirer surtout pour être nos chevaux de combat dans cet Armageddon qu’est le changement climatique. 


 

Connected Magazine 20 Fueling Future of Mobility

VERS UNE MOBILITÉ DÉCARBONÉE

En amont: la production d’hydrogène
Abondant dans l’univers, l’hydrogène est rarement présent à l’état pur sur Terre. On doit donc l’extraire, ce qui, malheureusement, demande beaucoup d’énergie. Tirer l’hydrogène des hydrocarbures (pétrole, gaz naturel…) est la production la plus polluante, la moins chère et la plus courante (on parle d’hydrogène gris). À l’opposé, le créer par hydrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité d’origine renouvelable (hydrogène vert) est la production la moins polluante, mais la plus chère. Pilier de la transition énergétique, cette production, dite décarbonée, nécessite la production en masse d’électrolyseurs, elle est largement soutenue.

En réserve: l’hydrogène comme vecteur
L’hydrogène peut être stocké sous forme liquide (à -250°C) ou gazeuse (à 700 bars) et transporté. Il complémente ainsi les énergies renouvelables en permettant de conserver l’électricité qu’elles produisent. Reste à trouver des solutions réduisant l’empreinte environnementale du stockage et du transport, qui sont tous deux très énergivores.

En action: la production d’électricité
À masse égale, l’hydrogène contient trois fois plus d’énergie que de l’essence. Pour la récupérer, on peut le brûler. On peut aussi l’utiliser dans différentes piles à combustible, qui produisent de l’électricité par réaction chimique. La PEM (pile à membrane échangeuse de protons) s’est imposée dans les véhicules grâce à trois avantages décisifs : elle est efficiente, elle fonctionne avec de l’air et le fait à une température ambiante. Dans une PEM, l’hydrogène fourni à l’anode se divise en protons et en électrons. Les protons traversent la membrane polymère (solide) vers la cathode, et les électrons suivent un circuit externe, créant ainsi du courant électrique.

En aval: une mobilité propre
À la cathode de la PEM, protons et électrons se combinent à de l’oxygène, formant de l’eau, seul sous-produit de la réaction. Une pile à combustible génère ainsi de l’électricité sans émettre ni CO2 ni autres gaz polluants ou à effet de serre. C’est, potentiellement, un formidable outil de lutte contre le
changement climatique.