Toujours plus vite, toujours mieux

Un peu partout dans le monde, des centaines de jeunes passionnés peaufinent d’étonnants bolides. Ils s’affronteront cet été en Formula Student, dont c’est le 25e anniversaire, et en Formula SAE, les deux plus grandes compétitions estudiantines d’ingénierie au monde.
Dans un bureau encombré de l’EPFL, la prestigieuse école technique suisse, trône l’Ariane. Dévoilée officiellement en mai dernier, cette voiture électrique de 3 m pour 230 kilos évoque le croisement entre un kart et une Formule 1. Des étudiants et étudiantes de l’EPFL Racing Team s’affairent autour d’elle. Pas de temps à perdre: la première compétition de Formula Student à laquelle ils participeront cette année démarre le 1er juillet dans les Alpes suisses.
Au même moment, ailleurs dans le monde, des dizaines d’autres équipes (dont une vingtaine soutenues par LEMO) se préparent aussi. Elles aussi concourent cet été à des épreuves de la Formula Student (en Europe et Asie) et de la Formula SAE américaine, les deux plus grandes compétitions estudiantines d’ingénierie au monde. Il règne une certaine frénésie, car, chaque année, les règlements évoluent et imposent la création d’une nouvelle voiture (design, châssis) et que les équipes renouvellent la moitié de leurs membres.
Au final, leurs véhicules se ressemblent, mais ne sont pas égaux. Savinien Semeria, président de l’EPFL Racing Team, le souligne avec un rire : « Certaines équipes existent depuis des décennies, elles soignent les détails pour gagner quelques pourcent. Notre team est jeune, nous avons bien plus que des détails à modifier! »
De fait, les deux compétitions impliquent une foule de compétences qui, toutes, doivent être assurées par les étudiants. Il y a bien sûr l’engineering (génie mécanique, matériaux, électronique…), la gestion de projet, les courses (logistique, pilotage, entretien) et même le sponsoring et la communication. Chaque team ressemble donc à une vraie entreprise — c’est précisément l’idée de la Formula Student.
Une course à l'innovation
La Formula SAE (pour Society of Automotive Engineers) a été créée aux États-Unis en 1981. La Formula Student, sa version européenne aux règles légèrement différentes, en 1998. Et la Formula SAE-A, en Asie-Océanie, en 2000.
Leur objectif: offrir une expérience pratique aux futur(e)s as de l’industrie automobile. Les étudiants doivent de fait assurer eux-mêmes tous les aspects du développement d’un véhicule (design, conception selon les requis, tests, finances, communication…). Des centaines de teams des meilleures écoles techniques du monde y participent chaque année. Ce bouillonnement de cerveaux génère aussi des innovations susceptibles d’être utilisées dans le secteur, ce qui explique aussi pourquoi tant de marques automobiles et de fournisseurs soutiennent étudiants et événements.
Ces derniers ont souvent lieu sur des circuits prestigieux (Silverstone, Hockenheim…). Quatre catégories sont proposées: véhicules thermiques, hybrides, électriques et autonomes. Les voitures sont jugées lors d’épreuves dynamiques (skidpad, accélération, autocross, endurance, efficacité) et statiques (business plan, engineering design et coûts & production).
Chaque épreuve débouche sur un podium, tout en donnant des points comptant pour le classement général de l’événement.
L’EPFL Racing Team implique aujourd’hui une centaine d’étudiantes et d’étudiants. Soit deux fois plus qu’à ses débuts en 2019. La série documentaire Netflix « Formula 1 » a dopé le recrutement, mais être fan de sports automobiles ne suffit pas. « Ces projets sont passionnels », explique Rafael Riber, Team Leader Low-Voltage. Particulièrement dans les écoles qui, comme l’EPFL, ne les intègrent pas dans le cursus déjà bien chargé. « Nous nous retrouvons le soir, les weekends... On ne compte pas nos heures ! » D’autant que les courses de Formula Student se déroulent durant les vacances et que les jeunes doivent parfois payer eux-mêmes les frais de voyage et de transport. Ils arrivent même que certains passent des examens à distance pendant leur participation à un événement !
Les étudiants s’impliquant en moyenne 2 à 3 ans, l’engagement personnel est conséquent. Heureusement pour le team suisse, les progrès l’ont été tout autant.
Leur première voiture, « Orion», a été privée de courses en 2019 à cause d’un défaut de sécurité. En 2021, après une année de pause pandémique, « Mercury», s’est bien comportée. Et, l’an dernier, « Artemis » a permis de décrocher de tout premiers podiums en épreuves individuelles. Dont trois premières places (engineering design et autocross lors de l’épreuve suisse, business plan en Espagne).
En seulement quatre ans, l’EPFL Racing Team a grimpé de la 156e place à la 85e au classement général de la Formula Student.
Poursuivre cette progression impliquait, comme Savinien Semeria l’a dit, bien plus que des lissages de détails. Alors le team s’est montré ambitieux : sur le nouveau châssis, beaucoup de nouveautés.
L’Ariane utilise pour la première fois une structure monocoque, plus rigide que celle, tubulaire, adoptée jusqu’ici.
Sa propulsion passe de deux à quatre roues motrices. Un rêve des fondateurs du team, écarté jusqu’ici pour des raisons de budget et de faisabilité. Non sans conséquences : « Nous étions dans le haut des voitures à deux roues motrices », explique Semeria. « C’est très bien en soi, mais les voitures qui gagnent les courses sont toutes à quatre roues motrices! Cela leur donne 30% d’accélération en plus et un meilleur contrôle des roues – deux avantages décisifs. »
Du coup, l’Ariane est plus lourde que les précédentes voitures. Sa batterie passe de 430 V au maximum admis de 600 V, l’équipe pourra mieux répartir et utiliser les 80 kW maximum autorisés.
Last but not least, l’EPFL Racing Team a décidé de s’aligner dans une catégorie supplémentaire: véhicules autonomes. « Cela fait plusieurs années qu’on y pense », relève Riber. « Nous avions d’ailleurs déjà une division “ Driverless” et plusieurs jeunes y ont consacré des travaux d’étude. Nous pouvons enfin utiliser ces connaissances, c’est très motivant ! »
Alors que la division « Driverless Software» continue de peaufiner les algorithmes guidant la voiture, une division « Driverless Hardware» a été créée. Elle s’occupe des capteurs, de la manipulation du volant ou encore des freins. À propos de frein : le règlement de sécurité de la catégorie « Driverless» impose l’intégration d’un frein mécanique indépendant du système — une autre nouveauté sur laquelle le team a dû travailler. Chaque décision entraine de nouveaux défis.
Parallèlement, l’EPFL Racing Team a opté pour une vision à plus long terme. « Nous avons designé certaines pièces (batterie, châssis, aérodynamique…) spécifiquement pour qu’elles puissent servir plusieurs années », explique Savinien Semeria. « Nous avons aussi protocolé les tests et adopté des outils de transfert de connaissance. Tout cela pour que nos successeurs n’aient pas à réinventer la roue ! »
Tous ces développements contribuent à une formidable leçon d’ingénierie et d’entepreneuriat. Ils font aussi grimper les budgets.
Neuf étudiants s’occupent du sponsoring (deux fois plus qu’avant) pour rassembler les quelque 300 000 dollars nécessaires. Cette mission, bien différente de l’ingénierie, n’est pas plus simple. « Elle est même très compliquée actuellement, car la situation internationale a fait exploser tous les prix », souligne Semeria. « Nous comprenons bien sûr que les entreprises impactées, qui ont parfois dû licencier du personnel, hésitent à lancer ou reconduire un sponsoring. »
Il a fallu malgré tout signer plusieurs dizaines de partenaires, gros et moins gros. L’EPFL est le principal. L’école a accordé au team le statut de « Projets MAKE» (des projets concrets et interdisciplinaires), ce qui lui assure un soutien financier en plus d’un accès à des ateliers, locaux et équipements de production dédiés.
D’autres partenaires participent en nature, précise Rafael Riber.
« Nous avons approché une entreprise de semi-conducteurs pour obtenir des puces. Des entreprises nous prêtent leur outil de production. Dassault Systems son logiciel 3D pour réaliser du life assessment; etc. » De son côté, LEMO a fourni 170 connecteurs (dont de nouveaux Série M Haute Puissance, voir CONNECTED 18), bouchons et accessoires pour la connectique (puissance et signal) de l’Ariane.
Travaillant sur tous les fronts, les étudiants de l’EPFL Racing Team ont pu bien avancer. Le design de la voiture a été terminé fin sep- tembre dernier, la production a commencé dans la foulée, culminant en janvier (les jeunes assurent eux-mêmes notamment l’injection carbone). La réalisation s’est étirée de janvier à mai. La voiture devrait être prête dès début juin pour des tests sur le parking de l’EPFL, puis sur des circuits mis à disposition par des sponsors.

Like the Chinese of Dian Racing, the student teams redesign their cars every year to improve performance.
Et ce sera enfin l’heure de se mesurer au reste du monde.
Le team suisse participera à trois des neuf compétitions de la Formula Student 2023 (pour des raisons de coûts et de timing, la plupart des équipes se contentent de 3 ou 4 événements). En Suisse tout début juillet (catégorie électrique), en Allemagne mi-août (électrique et driverless) et en Hongrie (driverless).
Toute une équipe d’étudiants se rendra sur place, travaillant sur la voiture et dormant sous tente. Semeria et Riber se réjouissent. Ils ont déjà participé à des événements l’an dernier et soulignent, avec des étoiles dans les yeux, « la super ambiance » et la formidable solidarité des étudiants qui échangent volontiers infos et coups de main.
Entre les trois événements, les étudiants ne relâcheront pas leur effort. Au contraire: il faudra frénétiquement réparer, corriger, améliorer avant le début du suivant… jusqu’à tard dans la nuit si nécessaire. C’est comme cela que, l’an dernier, leur business plan était passé de la dernière place à la première en quelques semaines !
Cet été, EPFL Racing convoite plus que des podiums individuels.
« Nous visons un podium au classement général » confirme Semeria.
« Sur le circuit d’Hockenheim. » La précision n’est pas anodine : « La compétition allemande est de loin la plus relevée de la Formula Student et de la Formula SAE ! »
S’ils n’y arrivent pas? Pas grave, rassure Riber. « Nous aurons quand même posé des fondations solides qui porteront notre team ces prochaines années ! » C’est aussi ça, l’innovation
LEMO, partenaire des jeunes ingénieurs
Le Groupe LEMO soutient depuis longtemps les ingénieurs de demain. Notamment par des sponso- rings financiers et technologiques de teams engagés dans les compétitions estudiantines internatio- nales (voitures, motos, bateaux propres, hyperloop, robotique, drones…).
L’idée: fournir aux jeunes ingénieur(e)s les meilleurs connecteurs du marché (souvent plusieurs dizaines) pour donner un coup de pouce à leurs innovations (et à leurs chances de victoire !). En retour, les étudiants donnent de nouvelles idées au R&D de LEMO, ils deviennent des ambassadeurs de la marque (et viennent parfois même y effectuer des stages). Le Groupe est particulièrement impliqué en Formula SAE et Formula Student, où il soutient actuellement une vingtaine de projets.